Dominique Locatelli
Ils, (les patients), arrivent dans le tohu-bohu d’un corps laminé par leurs voix vociférantes, les images imposées de leur kaléidoscope intérieur, les récits échevelés, hors sens, parfois à la construction rigoureuse, anticipant alors le trop de sens. Tantôt ce sont des objets anthropomorphisés qui s’interposent à leur adresse, forcée, d’autres enfin, cisaillent ou intoxiquent leur corps, ne se soutenant plus du langage à l’acmé de l’angoisse, ils vacillent devant un vide, parfois abyssal.
Ils sont là, parfois contraints, tant la dissolution symbolique les a déconnectés d’un possible monde en partage, dans une errance désespérée et/ou une solitude indifférente.
Au principe de l’articulation du sujet à son corps, il y a l’empreinte du langage, lorsque à son instauration, en équilibre précaire pour tout sujet, une défaillance s’insinue, advient alors une cohorte de symptômes conduisant parfois jusqu’au ravage d’une singularité dévastée.
Sujets dans la rencontre où nous (psychologues clinicien(ne)s leurs tendons la parole, les impatients du verbe, au corps désincarné, s’initient alors au dire – il est accueilli / recueilli dans une continuité, fil ténu mais tenu, dans la scansion régulière d’un espace partagé où s’inscrit un Autre (psychologue clinicien) de chair.
S’accomplit alors un travail de tissage, parsemé de trous, au bordage incertain qui tend cependant à restaurer un nouage recevable, donc habitable, par celui/celle qui tente de dire sa déprise d’avec le symbolique.
Ce possible-là n’opère qu’à la condition de mettre au principe de sa fabrication, l’invitation constante faite au sujet de témoigner par son dire jusqu’aux confins du pêle-mêle qui l’habite, dans l’absolue nécessité de réveiller sa subjectivité. Car la recouvrant, il possède la ressource créative d’élaborer ses propres points d’appui, voire de construire les suppléances fondamentales pour vivre différemment.
Ainsi la jouissance envahissante qui déborde le sujet dans la psychose, comme celle tapie dans les niches symptomatiques du névrosé, accompagnant aussi les divers passages par
l’acte, trouve-t-elle à se tempérer et amortir ainsi le drame existentiel qui nous incombe à tous.
Lorsque pour ceux-là que confrontent la justice, la rencontre, cette fois obligée, peut permettre de renouer avec le possible de leur parole, le dispositif collectif (groupe de parole) où chacun s’autorise de l’autre réciproquement, réveille la singularité d’un possible désir, en dégonflant la figure d’un Autre tout puissant souvent redouté dans le face à face, et qui le condamne à son indistinction.
A contrario le groupe, lorsqu’il s’institue familial ou en substitut, réclame, pour les adolescent(e)s ou des sujets inclus dans un dispositif commun, d’être accueilli dans cet environnement-là ; il s’agira, à la faveur d’entretiens collectifs de déceler les éléments impératifs de cette coalescence et les circonvenant, d’en désengluer le/la patient(e)
l’autorisant alors à cheminer vers une démarche particulière où se feront jour les interrogations qu’il/elle supporte.
Ainsi, le/la psychologue clinicien(ne) ne peut s’incarner comme garantie d’un traitement psychiatrique, ne revêt pas les insignes d’éducateur à la conformité sociale, enfin, ne s’institue pas assesseur de la justice.
Adressé à la journée du pôle 93G09 de l’EPS de Ville-Evrard. Le 16/10/2019. Neuilly sur Marne.