LA NEVROSE OBSESSIONNELLE

Dominique Locatelli

La complexité de la problématique obsessionnelle met à jour, en l’absence du refoulement paradigmatique des névroses, une conflictualité dont le moi est le théâtre. En effet, la lutte « instancielle » qui oppose la revendication pulsionnelle au refoulement est porté in vivo par la pensée d’un sujet, dans laquelle se distinguent annulation et isolation, afin de repousser les assauts des motions pulsionnelles tandis que la suspension de l’acte fait entrer en scène la férocité surmoïque de la troisième instance qui complète l’étrangeté du tableau clinique de cette névrose. 

Ce sont des enjeux attachés au terme de la pulsion scopique supportant l’adresse persistante d’un vœu de mort à l’encontre de l’A qui permettent, chez le névrosé obsessionnel, de rendre compte du moratoire sur son désir car : « …il est de la nature du désir comme tel de nécessiter le support de l’Autre. Le désir de l’Autre n’est pas une voie d’accès au désir du sujet, c’est la place tout court du désir… » (Les formations de l’inconscient ; p.402)   

Ici, le temps second du circuit de réversion, parcouru par la pulsion que génère « l’invidia », favorise une mise en scène où l’être vu prend place dans une rivalité avec le semblable, alibi d’une intercession privilégiée avec l’A. Mais c’est la saisie, au temps 1° du voir l’Autre primordial dévoilé dans la puissance de sa complétude avec l’objet auquel l’autre est appendu, qui en constitue la primauté. 

La jouissance pétrifiante, circonscrite dans un Autre imaginaire non barré, mobilise le « Wunch » mortifère à son encontre qui n’en est peut mais conduit alors à la propre mortification du sujet pour l’horreur du Réel entrevue de la propre jouissance du sujet. Au désir qui interroge la place prise pour tout sujet à l’égard de l’Autre, répond le fantasme de rétorsion par l’exigence de sa castration, qui affleure toujours chez le névrosé. Chez le sujet obsessionnel, elle constitue un des effets redoutables inhérent ai caractère archaïque de cet Autre surmoïque qui y conjoint le commandement de « j’ouie-sens ». 

C’est ainsi qu’avec la mise en exil désirante de cet Autre, et la forclusion du réel qu’elle suppose, le névrosé obsessionnel institue le signifiant en maître dans une articulation de la chaine qui ne peut souffrir aucun écart, et présente,  dans sa logique grammatico-narrative, la prépondérance du « ou ». S’incarnant dans la coordination imposée par cette conjonction, le « le vel obsessionnel » installe le sujet dans la certitude du doute désengagé de l’aliénation -la bourse ou la vie ; l’être (le sujet) ou l’Autre (le sens).

Par ailleurs, l’idéal de maîtrise accordée à la pensée par le névrosé obsessionnel, imprime au discours une mobilisation du S2 en place d’agent supporté par le signifiant phallique S1 en place de vérité qui dans son adresse privilégie un autre manquant. 

La causation du sujet, établie dans sa rencontre avec le champ de l’Autre, instruit le procès de la castration coexistant à la question du désir. L’insupportable vérité du sujet entrevue sur la jouissance surgit du manque, alimente un déni porté sur le désir de l’Autre dont le protège la quête d’une figure du Maître idéalisé qu’il conforte de son assujettissement : « l’obsessionnel est toujours en train de demander une permission. Demander une permission c’est dans la mesure même où la dialectique avec l’Autre – L’Autre en tant qu’il parle – est mise en cause, mise en question, voire mise en danger, s’employer en fin de compte à instituer cet Autre, se mettre dans la plus extrême dépendance par rapport à lui ( Les formations de l’inconscient ; p.412).

 Le frayage de l’angoisse qu’accompagne la courbe ascendante du désir est arrêté dans son déploiement par l’abaissement brutal de la tension libidinale. L’aphanisis compose une défense paradoxale qui paralyse l’émergence jouissante en gelant, malgré ses effets déflationnistes redoutés, la question du désir qui répondrait d’un renoncement à la position clivée d’être/avoir le phallus. 

Le renforcement de la prééminence de la première proposition du cogito « je pense » restaure l’entame du « je ne suis pas » en épargnant de son impossible évanouissement que commande la division, son rapport à l’objet a. 

Il y aurait donc un Réel de l’objet a présent d’emblée dans le discours de l’obsessionnel dont l’horreur menace sans cesse. Car l’issue que constitue , dans le cadre imaginaire, l’élaboration du fantasme schématisant a comme « métaphore du sujet de la jouissance » en y logeant l’insupportable de S(A) barré, est frappé de déni. 

 Le névrosé vise alors, par identification au phallus, la complétude de l’Autre que proscrit toute assomption de la castration, et auquel le fantasme du père jouisseur vient répondre de l’exception :

En se prémunissant du sacrifice de « la livre de chair » de la castration, le névrosé assure sa vie mais attente au désir dont il a obturé l’accès. L’expression du désir tant redouté chez l‘Autre se négocie stratégiquement par l’équation de son ravalement à la D, l’obsessionnel recourant ainsi à la multiplication d’objets cessibles selon le frayage du modèle anal. En effet, l’impossible de l’équation   désirante du névrosé repose sur l’emprunt par le désir, dont l’absolutisme comporte la destruction de l’Autre, du caractère inconditionné de l’amour à son adresse, conduisant ainsi à l’en doter par le registre du besoin. 

La relégation paternelle a éconduit le sujet dans son cheminement vers le devenir homme, le portant à la quête d’une exigence de reconnaissance d’une figure idéalisée, et inscrivant la forclusion portée sur la castration, dans l’exclusivité asséchante au désir de la mère. Par son indéfectible fidélité à l’Autre primordial, le névrosé nourri l’omnipotence d’un regard pétrifiant supporté par la dimension archaïque du Surmoi, affiliant sa culpabilité au renoncement de sa propre jouissance en répudiant la parole de l’altérité. 

Le renoncement impossible à la mère, préfigure la position asexuée adoptée par le sujet obsessionnel, dans son affrontement à l’autre sexe tandis que l’homosexualité latente, que soutient l’idéalisation féminine, participe d’une semblable esquive voulant ignorer le choix d’être un homme face à une femme. Délesté de la récurrence de la castration qu’introduit la question afférente à la différence des sexes, le névrosé obsessionnel porte au pinacle la mère pourvoyeuse de vie, accusant le poids de réel du signifiant phallique. 

L’aphanisis, pour répondre de l’angoisse exsudée par l’approche de l’énigme désirante présentée par l’Autre à l’endroit du sujet obsessionnel, constitue une stratégie déflationniste où la dégradation de son désir qui s’évanouit dans le retrait, fait évoquer une position mélancolique dont elle doit être distinguée.   

Présenté à la Présentation Clinique de Levallois. ECF. Ecole de la Cause Freudienne.   Juin 2003

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