LETTRE OUVERTE AUX EQUIPES PLURIDISCIPLINAIRES DU SECTEUR, REPONSE A LEUR INTERROGATION SUPPOSEE PAR UN AUTRE… 

Dominique Locatelli

Ils, (les patients), arrivent dans le tohu-bohu d’un corps laminé par leurs voix vociférantes, les images imposées de leur kaléidoscope intérieur, les récits échevelés, hors sens, parfois à la construction rigoureuse, anticipant alors le trop de sens. Tantôt ce sont des objets anthropomorphisés qui s’interposent à leur adresse, forcée, d’autres enfin, cisaillent ou  intoxiquent leur corps, ne se soutenant plus du langage à l’acmé de l’angoisse, ils vacillent devant un vide, parfois abyssal.

Ils sont là, parfois contraints, tant la dissolution symbolique les a déconnectés d’un possible monde en partage, dans une errance désespérée et/ou une solitude indifférente.

Au principe de l’articulation du sujet à son corps, il y a l’empreinte du langage, lorsque à son instauration, en équilibre précaire pour tout sujet, une défaillance s’insinue, advient alors une cohorte de symptômes conduisant parfois jusqu’au ravage d’une singularité dévastée.

Sujets dans la rencontre où nous (psychologues clinicien(ne)s leurs tendons la parole, les impatients du verbe, au corps désincarné, s’initient alors au dire – il est accueilli / recueilli dans une continuité, fil ténu mais tenu, dans la scansion régulière d’un espace partagé où s’inscrit un Autre (psychologue clinicien) de chair. 

S’accomplit alors un travail de tissage, parsemé de trous, au bordage incertain qui tend cependant à restaurer un nouage recevable, donc habitable, par celui/celle qui tente de dire sa déprise d’avec le symbolique.

Ce possible-là n’opère qu’à la condition de mettre au principe de sa fabrication, l’invitation constante faite au sujet de témoigner par son dire jusqu’aux confins du pêle-mêle qui l’habite, dans l’absolue nécessité de réveiller sa subjectivité. Car la recouvrant, il possède la ressource créative d’élaborer ses propres points d’appui, voire de construire les suppléances fondamentales pour vivre différemment.

Ainsi la jouissance envahissante qui déborde le sujet dans la psychose, comme celle tapie dans les niches symptomatiques du névrosé, accompagnant aussi les divers passages par

l’acte, trouve-t-elle à se tempérer et amortir ainsi le drame existentiel qui nous incombe à tous.

Lorsque pour ceux-là que confrontent la justice, la rencontre, cette fois obligée, peut permettre de renouer avec le possible de leur parole, le dispositif collectif (groupe de parole) où chacun s’autorise de l’autre réciproquement, réveille la singularité d’un possible désir, en dégonflant la figure d’un Autre tout puissant souvent redouté dans le face à face, et qui le condamne à son indistinction.

A contrario le groupe, lorsqu’il s’institue familial ou en substitut, réclame, pour les adolescent(e)s ou des sujets inclus dans un dispositif commun, d’être accueilli dans cet environnement-là ; il s’agira, à la faveur d’entretiens collectifs de déceler les éléments impératifs de cette coalescence et les circonvenant, d’en désengluer le/la patient(e)

l’autorisant alors à cheminer vers une démarche particulière où se feront jour les interrogations qu’il/elle supporte.

Ainsi, le/la psychologue clinicien(ne) ne peut s’incarner comme garantie d’un traitement psychiatrique, ne revêt pas les insignes d’éducateur à la conformité sociale, enfin, ne s’institue pas assesseur de la justice.

Adressé à la journée du pôle 93G09 de l’EPS de Ville-Evrard. Le 16/10/2019. Neuilly sur Marne. 

LE CORPS DE LA PSYCHANALYSE ET DU POLITIQUE

Dominique Locatelli

La cisaille du Discours du Maître tatoue le corps social. C’est l’ombre portée du langage qui s’inscrit comme marque dans la capture de l’inconscient. La collusion contemporaine de ce discours d’avec la science fore ce réel. C’est un pacte méphistophélique de jouissance où la transgression du sexe une fois résorbée, le modelage du corps expurgerait l’inconscient qui est un savoir : savoir quête de vérité où se métisse l’origine.

Ce discord de vérité, réponse de l’éthique inconsciente, se nomme désormais résolument menteuse : les fake-news infiltrent l’ère du politique, scories dites de l’héritage démocratique du totalitarisme de l’Un, défait au tournant du siècle.

Ainsi, l’attraction adhésive de jouissance du Discours Capitaliste produit le malaise contemporain de la civilisation auquel la singularité de la proposition analytique fait front. Elle ne peut cependant se déployer que du psychanalyste rejoignant « la subjectivité de son époque ». Il s’entend alors que la psychanalyse forge à cet endroit une relation transférentielle où s’ébroue le parlêtre d’une contamination de la langue imposée à son corps aimanté ; sévissent là les effets du « pacs » DMC (discours du maître et capitaliste) qui cannibalise les corps et où s’éteint la fulgurance de la rencontre – l’amour donc.

S’énonce le legs du relativisme politique, sidération désirante des mornes lendemains asséchés du collectivisme où la psychanalyse tiendrait alors lieu de cabinet d’hyper-singularités de corps supplémentées par la parole.

La question de l’origine fait retour, tandis qu’à la béance inextinguible de l’Autre s’éreinte l’ardeur pulsionnelle, qui de s’embrigader docilement dans le fantasme renâcle au renoncement des noces avec la Chose.

Qu’elles s’autorisent de l’orientation du prêt-à-porter-son-sexe-choisi ressortissant à l’intervention réelle dans la sexuation et la filiation, ou du prêt-à-penser d’une origine commune mythifiée ordonnant le monde dans la partition immuable des sexes, les réponses singulières rapportent l’arrimage de l’inconscient au politique et convoquent la psychanalyse aux portes d’un désir ainsi noué.

Il engage le psychanalyste dans les résonnances des morsures du réel sur la langue d’une humanité contingente.

Publié sur le site Addicta.org. L’Envers de Paris. Association de Psychanalyse. 2018  

LE CORPS « EMBEDDED » DE LA COLLECTIVISATION A LA DESINTEGRATION

Dominique Locatelli

Dans la suite cette année de la présentation du livre de Fethi BENSLAMA « La guerre des subjectivités en Islam », au Midi-Minuit à Marseille, des hypothèses surgissaient que je souhaiterais mettre au travail avec vous. 

Le symptôme déployé aujourd’hui dans la communauté musulmane par l’essentialisation de sa représentation rabattue sur une mythologie originaire, se rapporterait à une discordance provoquée par le «choc axial » des Lumières introduites là, corrodées dans les principes de ses fondements (colonialisme ; complicité d’accords iniques des puissances occidentales…).   Associé au morcellement des territoires et donc des langues, il redoublait une division inhérente au parlêtre.

Tandis que le siècle qui vient voit s’installer un capitalisme hégémonique qui dévoile une science à la manœuvre d’une mutation du réel, et que se fracturent les Noms-du-père ; une armée se lève dont la stratégie de « reconquête » s’établit sur une tactique du sacrifice élevé  à la dignité d’un absolu de dieu. L’incorporation internationalisée de petits soldats dépouillés de toute filiation généalogique et/où immédiatement culturelle à l’Islam, nécessite d’instruire le procès de l’engagement de ces combattants-martyrs dans le corps glorieux de l’Oumma conquérante. 

Il s’installerait dans un assujettissement au spectacle panoptique mondialisé par l’irradiation d’images découpant une narration où la cadavérisation des corps se récence dans des discours cyniques géo-stratégiquement globalisés. Les instructeurs d’une morale mortifère, sous les auspices de l’Un, qui conjurent ces suppliciés, déclinent alors leur propre mise à mort, corps consumés, diffractés en sacrifice. Ils aimantent le regard de ceux que déserte une affiliation à l’Idéal, « Invisibles », percutés en leur relégation symbolique tandis que s’impose la circulation d’un hédonisme aux corps jubilatoires qui les précipitent vers un imaginaire identitaire de sacrifié.    

Cet accomplissement, d’abord solitaire, rencontre un point de tension structurelle entre une formation idéale composite, rétrocédant une béance aux bords intangibles frayant la quête insatiable de la Chose, et une rétorsion surmoïque inébranlable qu’elle vient renforcer. Ce ralliement qui emprunte désormais à la mise  en lien social virtualisée des bien nommés « réseaux sociaux », métaphorise la contestation radicale de la nomination par le père, au plan identitaire du sang comme du sol, par l’adoption d’un nom qu’adoube son intégration idéologique dans une armée cosmopolite contre un ordre mondial. 

Le sujet qui se désarrime du Père nommant, livre aussi les défauts de références des noms-du-père et découvre à la faveur d’un symbolique toujours troué, la vacuité consubstantielle à l’être parlant. Il y loge dès lors par cette autonomisation rétroactive, un père de réel, Dieu, s’expectant de tous ses fils qui exsistent à son amour. 

L’engagement ressortit à des actes dont il convient de repérer alors la temporalité qui les oriente. Le mouvement premier, qui confine à une adhésion identificatoire inscrite sous l’égide de l’objet regard dans le temps du voir, emprunterait dans le temps second le trajet pulsionnel de la monstration, « être vu » du sacrifié, position subjective saisie dans l’adresse à un Autre insuffisant. Cependant, la conversion en la croyance d’une Vérité, inféodée à l’Un, pétri de réel, procède alors de la collectivisation des corps sidérés en masse, elle suspend le sujet à l’insoutenable inconnue du désir de cet Autre et le précipite vers la béance ouverte par le choix exclu. Le mouvement de collision d’avec le réel, résolutif de l’angoisse, réalise les renversements spectaculaires de sa position, soit de sacrifié en sacrificateur, soit opère la désintégration de son être de rebut en embrassant ce réel. 

Si les modalités du passage à l’acte doivent interroger la clinique différentielle des structures qui le sous-tend, celui-ci réduit à l’empan binaire de la pulsion, ignore ici le « se faire regarder » d’un temps troisième.  Son absence témoigne, dans son défaut d’instauration du fantasme, de la prégnance du regard détourné comme de l’écho indéchiffrable de l’Autre. Ainsi s’installe la jouissance, pornographie scopique de corps martyrisés réfléchissant de manière inversée la copulation usufruitière des corps. 

C’est depuis l’endroit où s’évoque cette « lalangue » qui tient au corps et fait événement, que se tiendrait l’analyste de chair. Il s’inscrit dans l’avènement de la parole recouvrée dont il souligne l’acte et dont se saisit le sujet dans un des effets attendus d’entame de vérité de la jouissance pétrifiée du symptôme.  

Or, de l’inconscient au corps, ce qui s’entend de cette vérité jouisseuse, s’articule en traversant l’histoire et produit une subjectivité contingente au temps présent. Le « parlêtre » habite un réel de semblants qui le constitue comme sujet de l’inconscient contemporain où s’institue la possibilité d’une rencontre avec un analyste inscrit dans la mouvance de l’histoire, car « l’inconscient, c’est la politique ».             

Présenté au Colloque : « Le sujet, le capitaliste et le saint dans le lien social contemporain », 8-9 mai 2015, Athènes. APJL. Association de Psychanalyse Jacques Lacan. 

En attente de publication des actes du Colloque.   

1/  Fethi Benslama,  La guerre des subjectivités en Islam. Éditions Lignes,  Paris, 2014

2/  « …- J’ai parlé « des » noms du père. Et bien, les noms du père, c’est ça : le Symbolique, l’Imaginaire et le Réel en tant qu’à mon sens, avec le poids que j’ai donné tout à l’heure au mot sens, c’est ça les noms du père : les noms premiers en tant qu’ils nomment quelque chose ».  Jacques Lacan,  RSI ; Tapuscrit, Paris, leçon du 11/03/197.  

3/  « Nous pouvons interroger de la même façon, si entre Réel et Imaginaire, c’est la nomination indice du Symbolique, c’est-à-dire en tant que dans le Symbolique surgit quelque chose qui nomme ».  Jacques Lacan, RSI , Tapuscrit, Paris, leçon du 15/04/1975. 

4/  « C’est parce que le corps a quelques orifices, dont le plus important est l’oreille parce qu’elle ne peut se boucher, se clore, se fermer. C’est par ce biais que répond dans le corps ce que j’ai appelé la voix. L’embarrassant est assurément qu’il n’y a pas que l’oreille, et que le regard lui fait une concurrence éminente ». Le sinthome, Ed. Seuil, Paris, 2005, leçon du 18/11/1975. 

5/  « C’est ce que l’expérience de l’inconscient nous a montré en tant qu’il est fait de lalangue, cette lalangue dont vous savez que je l’écris en un seul mot, pour désigner ce qui est notre affaire à chacun, lalangue dite maternelle, et pas pour rien dite ainsi ».  Jacques Lacan, Encore, Ed. Seuil, Paris,1975,  leçon du 26/06/1973

6/  « Il faut qu’il  y ait quelque chose dans le signifiant qui résonne…Ils ne s’imaginent pas que les pulsions, c’est l’écho dans le corps du fait qu’il y a un dire. Ce dire, pour qu’il résonne, qu’il consonne, autre mot de sinthome madaquin,  il faut que le corps y soit sensible. Qu’il l’est, c’est un fait » .  Jacques Lacan, Le sinthome, Ed. Seuil, Paris, 2005,  leçon du 18/11/1975. 

INTRODUCTION ET HYPOTHESES AU LIVRE DE FETHI BEN SLAMA LA GUERRE DES SUBJECTIVITES EN ISLAM

Dominique Locatelli 

L’effraction d’un réel ravageur s’est imposée sur la scène de l’islam, et du monde.

Engagée par une rencontre troublée entre une modernité du droit, séculière, évidée de son substrat moral d’équité, avec un monde musulman désaffilié de son rayonnement mais toujours empreint des fondements religieux de sa communauté, elle a engendré, ce que vous dénommez une «  discordance suppositionnelle » dans cet univers.

Les premières manifestations du syndrome ont concouru à faire monstration d’une identité consubstantielle à la loi islamique, écloses dans un « monde intervallaire » (Badiou), où l’imaginaire se rabat sur la mythologie originaire. Sous le regard panoptique mondialisé, la communauté musulmane acquière alors une représentation de sa substantielle altérité, affutant le tranchant mortel des armes de destruction, alors réciproquement aiguisées, qui massivement l’atteindra de plein fouet. 

Inféodée à l’œil dévorant d’un monde spectaculaire irradié par l’image, la déclinaison du sacrifice entame son assomption. Tentative singulière de se désengluer d’un embaumement honteux sous les auspices de régimes iniques, elle installe une dramaturgie où le corps saisi dans une dialectique de l’acte se fracasse dans un court-circuit collusif avec le réel. Déréliction sécularisée par son franchissement symbolique dans le champ du politique, le prétendant au sacrifice, choix exclu, s’inscrit dans une projection disruptive qui emporte à son tour la langue dans son souffle. Ainsi, la nomination qui distingue dans l’après-coup de sa mort glorieuse, sujet passif, « le châid », insère par le circuit de réversion emprunté par le demandeur de martyr, alors actif, un signifiant nouveau « istachâdi » dans le corps même de la langue.

Parler la langue arabe à racines consonantes, écrivez-vous, suppose pour son locuteur de poser un acte (fâ’il) producteur de signifiants. Le langage, mortificateur de l’être dans son devenir désirant, rétribuerait ici le réel de la langue de la chair du sacrifié, insufflant vie nouvelle à la déshérence du signifié d’un monde englouti avec ses martyrs héroïques. Dessaisissant le père pour n’en retrouver que l’égarement, le dieu de l’ endosse seul le caractère métaphorique de sa manifestation, dont son fidèle désormais orphelin accomplit sa migration spirituelle dans une angoisse incoercible quant au « Ché vuoi ? » divin. Lorsque la supposition d’en deviner l’inclinaison réfléchit la cession d’une offrande, l’entame que ne tamponne nulle formation de L’Idéal, laisse à l’os une béance dans la confrontation du candidat au salut avec un dieu impénétrable. 

QUESTION : Cette quête transcendante du croyant/combattant contemporain n’articule-t-elle pas le conflit inhérent au sujet musulman entre un dieu saturé de réel, dépouillé d’une généalogie avec l’homme qui, troué par le défaut du sexe, rejoindrait en son dogme l’impossible = Al Ilâh = le dieu ;  (cf. Sourate du Culte Pur ; CXII).  

Les hommes, apparus dans leur déchéance que consigne l’histoire de la mise en berne d’une civilisation, s’exportent désormais en corps laborieux à la rencontre du veau d‘or d’une autre où le corps exultant néglige l’éthique de la puissance désirante. Lorsqu’au jeu de la mort, distribuée dans des retournements spectaculaires auxquels les corps s’adonnent, le recrutement dans l’universel no man’s land désarrimé de l’Idéal déborde le monde musulman, il incorpore désormais des petits soldats dans le corps alors magnifiée d’une « Oumma » conquérante. 

La massification scopique convoquée par l’amoncellement des corps suppliciés, recensée dans un discours inféodé à des lois géostratégiques souvent mercantiles, capturent « les invisibles », chacun dans leur relégation symbolique, et lorsque l’image fait le point sur la dépouille consumée ou la dispersion des restes de celui qui s’est élancé avec la mort, l’acte résolutif fusionnel avec le réel vient suppléer à la potentialité du fantasme.

Quand la réponse attendu d’un Autre n’est pas advenue et que le regard s’est détourné, l’évidement structural du sujet s’accroit du trou de l’originaire, la quête de la Chose fourbit alors l’acte dans l’incantation des corps, de soi, de l’autre. Hymne au fol amour, irradié de jouissance vers un autre de pur réel qui dissiperait l’imposture d’une réalité inadmissible, cette supplication de l’advenue de la Vérité ressortit à l’ordonnancement du corps exposé, retenant un regard mondialisé.

Si à l’avènement du sujet une soustraction opère un trou dans l’Un où soufflera l’altérité conduisant au singulier, sa subjectivation n’adviendra  à son tour  que de l’amour qui toujours mobilise :

QUESTION : Ne serait-ce pas depuis cet endroit que le psychanalyste de chair pourrait circonscrire l’accueil de la vie liquide de ces corps laminés d’injonctions fossilisées, comme d’autres confondus dans le tourbillon des « lathouses », mais tous résorbés dans des discours que leur parole a désertés ?

Par ailleurs, aux fondements de l’islam, seul parmi les trois religions du livre, s’est excavé un espace que sublimait sa spiritualité ; les errements du pouvoir dans l’histoire et ses liaisons incestueuses avec le religieux en ont bouleversé le contour, engendrant l’armée d’un dieu furieux.

Cependant de la spiritualité à la psychanalyse, l’exigence de leur exercice rencontre la recherche d’une approche de vérité, écart au dogme de croyance ou de savoir, qui oblige le sujet. D’en préserver l’éthique requiert d’engager, d’une part, un dialogue d’expérience et de notion dans chacune des disciplines, d’autre part, un rapport dialectique au collectif où le politique, prendrait pleinement sa place au combat vers « la possibilité d’être soi » (Foucault), créativité subjective d’avec l’Autre et les autres. 

Présenté lors du « Midi-Minuit Des Ecrits De Psychanalyse », samedi 21 mars 2015. Marseille. APJL. Association de Psychanalyse Jacques Lacan

1/ « Il est évident, et depuis toujours, que la situation de l’homme s’inscrit en ceci, que cette frontière [celle de la mort biologique] ne se confond pas avec celle de la seconde mort que l’on peut définir sous sa formule la plus générale, en disant que l’homme aspire à s’y anéantir pour s’y inscrire dans les termes de l’être. La contradiction cachée, la petite goute à boire,  c’est que l’homme aspire à se détruire à ceci même qu’il s’éternise ». J.Lacan. Le Transfert. Paris, Ed. Seuil, 1991, séance du 11/01/1961.  

2/ « Sa demande est soumise au désir supposé d’un Dieu qu’il faut dès lors séduire ». J.Lacan, L’angoisse (1962-63), non publié, version multigraphiée, Bibliothèque de l’ECF. 

3/  « Dis : Il est Dieu, Il est Un. Dieu l’impénétrable ; Il n’engendre pas ; Il n’a pas engendré ; nul n’est égal Lui » (S : 23) 

4/  F. Benslama, Le sexe absolu, Cahier Intersignes, n° 2, Paris, 1991, p. 105 – 124.  

5/  « Dis aux croyants de baisser leur vue et de préserver leur sexe (frûjahum = farj au pluriel). Dis aux croyantes…..et de préserver leur sexe (Frûjahunna) » (Coran XXI, 91)

6/  «cette relation amoureuse, pourtant qu’elle était, ce qui nous paraît à nos comiques, ce sacrifice total d’un être à l’autre, poursuivi systématiquement par les gens… mais qui assurément a le caractère de technique spirituelle… qui pourraient nous intéresser nos autres analystes…. Qui constituaient ce qui sans doute fondait dans ses détails la pratique de l’amour à laquelle je fais allusion ». J.Lacan, Les Psychose, Paris, Ed. Seuil. 1981 Séance du 31/05/ 1956.    

7/ « Or, que l’amour soit affaire d’être a surgit dans l’analyse avec la découverte du transfert. Ainsi ne s’étonnera-t-on pas que la question pour le psychanalyste soit celle d’un “accès“ à l’être de “l’analysant“ : «  Et c’est bien en cela que la question se pose pour un analyste. C’est à savoir – quel est notre rapport à l’être de notre patient ? On sait bien, tout de même, que c’est de cela qu’il s’agit dans l’analyse. Notre accès à cet être est-il ou non celui de l’amour ? ». J.ALLOUCHE. La psychanalyse est-elle un exercice spirituel ? Ed. EPEL, 2007, P 41-42.

8/  « C’est à cet être de néant que notre tâche quotidienne est d’ouvrir à nouveau la voie de son sens dans une fraternité discrète à la mesure de laquelle nous sommes toujours trop inégaux ». J.Lacan,  L’agressivité en psychanalyse, Conférence prononcée à Bruxelles, mais 1948 au II Congres des psychanalystes de langue française, publiée dans La Revue Française de Psychanalyse. Juillet – septembre 1948, Tome XII n° 2, p. 366 -388.    

9/  « Ne savons nous pas qu’aux confins où la parole se démet, commence le domaine de la violence, et qu’il y règne déjà, même sans qu’on l’y provoque».  J.LACAN. Introduction au commentaire de Jean Hyppolite sur la Verneinung de Freud, Les Ecrits, Paris, Ed. Seuil. 1966. p. 375.

10/  « La politique advient comme un accident toujours provisoire dans l’histoire des formes de la domination ». J. RANCIERE, Les démocrates contre la démocratie, Démocratie dans quel état ? La Fabrique édition, Paris,  2009, p.98.

11/  « La politique-et toute politique est une politique des corps remet en jeu les partages, les limites et le pouvoir…quelque chose comme la défaite d’un ancien régime de la souveraineté et de son sens a lieu avec les corps des femmes, dehors. F. BENSLAMA, La guerre des subjectivités en islam, Ed, Lignes, Paris, 2014, p.223-224. 

12/  « …Qu’il n’y a pas d’autre point, premier et ultime de résistance au pouvoir politique que dans le rapport de soi à soi ».  M. FOUCAULT, L’herméneutique du sujet,cours du Collège de France, 1981-82, Paris, Haute études, Gallimard, Seuil, 2001, p.241.   

« C’EST LA TRAGEDIE DU DESIR ET ON N’Y PARLE QUE DE DEUIL »

Dominique Locatelli

Nous avons constitué notre cartel avec la question du désir et nous nous sommes engagées dans une lecture du séminaire de Lacan Le désir et son interprétation, séminaire inédit, tenu dans l’année 1958-1959. 

A partir du mois de mars et jusqu’au mois de juin, Lacan commente le texte d’Hamlet et propose de lire dans cette tragédie la tragédie même du désir. 

Nous avions déjà travaillé depuis plus d’un an les séances du séminaire qui précèdent ce commentaire d’Hamlet. Nous avons alors choisi d’insister, et de poursuivre le cartel pour travailler cette partie dont nous pressentions l’importance. 

Effectivement, nous y avons trouvé matière à questionnement. 

Lacan profite d’« Hamlet » pour interroger : «  le rapport de drame du désir avec tout ce dont il s’agit autour du deuil et des exigences de deuil ». 

Dans la séance du 22 avril, il produit un énoncé qui est à l’origine de ce travail : «le trou dans le réel provoqué par une perte, une perte véritable, cette sorte de perte intolérable à l’être humain, qui provoque chez lui le deuil, ce trou dans le réel se trouve par cette fonction même dans cette relation qui est l’inverse de celle que je promeus devant vous sous le nom de Verwerfung ». 

C’est sans doute la force de la proposition : « la perte peut faire trou dans le réel », qui nous a arrêtées.

Nous avions en mémoire certains énoncés plus anciens de Lacan, que l’on peut retrouver en particulier dans le Séminaire sur le Moi, où Lacan affirme avec force : « le réel est sans fissure », il l’affirme et insiste, on peut trouver la formule répétée trois fois dans une même page. 

Nous savions aussi que Lacan, bien plus tard dans son enseignement, dans le Séminaire RSI, proposera d’envisager le réel comme troué. 

Qu’est ce qui est en jeu ici, en 1959, pour que ce trou soit convoqué ?

Si Lacan, à la suite de nombreux auteurs, s’interroge sur ce qui rend pour Hamlet le passage à l’acte impossible, il s’intéresse de très près, à ce qui va le rendre finalement possible. 

Dès le début de son commentaire il nous avertit : « il s’est passé quelque chose sur lequel on n’a pas attaché assez d’importance », et il évoque alors la scène de l’enterrement d’Ophélie, au début du cinquième et du dernier acte, dans laquelle selon lui : « Hamlet retrouve pour la première fois son désir dans la totalité ». 

C’est ce même point de la pièce, l’enterrement d’Ophélie, que Lacan reprend dans cette séance du 22/04 où est convoqué le « trou dans le réel ». 

Mort, perte, deuil, trou, impossible, réel, désir. 

Qu’est ce qui s’articule entre ces termes ?

Il y a donc une perte, produite par la mort réelle d’Ophélie, il y a le trou de la tombe et c’est dans ce trou, on pourrait dire depuis ce trou, que par la contingence de la mort d’Ophélie et confronté spéculairement à la douleur de Laërte, qu’Hamlet redevient désirant, désir qui lui permettra d’avancer vers l’acte jusque-là impossible : le meurtre de Claudius.  

Désir mortel, qui ne pourra s’accomplir qu’au moment où lui-même y laissera la vie. 

Comment la perte intolérable, que réalise le réel de la mort, trou tombale creusé pour Ophélie, se transmue pour Hamlet en un ressaisissement de son désir, le conduisant à la rencontre avec son impossible, dont l’inscription s’accomplit depuis ce trou dans le réel ? 

Le rapport à l’impossible pourrait être réduit à incarner la forme du désir de l’obsessionnel, mais Lacan nous avertit de ne pas nous arrêter là : « il y a toujours cette note d’impossible dans l’objet du désir ». 

Ce qui spécifierait plus justement l’obsessionnel serait sa tendance à faire de l’objet de son désir le signifiant de cette impossibilité, une façon de faire de l’impossible une impossibilité, voire une impuissance. 

C’est bien autre chose qui est en jeu ici. Le rapport à l’impossible va nous mener beaucoup plus loin, il n’est pas réductible à l’une des formes névrotiques du désir. 

Quel est le deuil en jeu dans l’accession de tout sujet au désir, qui conduit de la perte au manque ? 

Freud avait souligné cette remarque de Jansen dans la Gradiva : « quelqu’un doit mourir pour devenir vivant », et c’est ce même point qui est ici convoqué, mais cette opération se fait elle sans reste ? 

A l’impossible du désir qui réclame l’amputation de la livre de chair dont se troue le réel, vient alors s’apposer l’intangible perte de l’autre qui constitue le réel de trou.  

Si Freud ne nous avait laissé en héritage que sa théorie du deuil, formulée en 1917 dans , «  Deuil et mélancolie », dont la thèse  est que toute la dimension de la perte peut se réduire dans le travail de deuil par la faculté de substitution des objets, nous pourrions avancer que Lacan se sépare ici de Freud en affirmant comme il le fait que l’affrontement au réel révèle : «  l’insuffisance de tous les éléments signifiants à faire face au trou créé dans l’existence par la mise en jeu totale de tout le système signifiant autour du moindre deuil ». 

La théorie freudienne de « Deuil et mélancolie » dans laquelle selon Lacan : « la question n’est pas articulée convenablement », trouve ici sa limite. Mais c’était Freud déjà, qui témoignait en 1929 dans une lettre à Binswanger, et alors que ce dernier venait de perdre son fils : « on sait qu’après une telle perte, le deuil aigu s’atténuera, mais on reste toujours inconsolable, sans trouver de substitut.  Tout ce qui prend cette place, même en l’occupant entièrement, reste cependant toujours autre ». 

Lors de la mort de sa fille Sophie en 1920, il écrivait déjà à Ferenczi : « tout au fond, je subodore le sentiment d’une atteinte narcissique profonde et insurmontable ». Et en juin 1923, alors que son petit-fils Heinele est dans le coma qui va précéder son décès, il écrit à Kata et Lajos Lévy : « cette perte, je la supporte si difficilement que je ne crois pas avoir jamais vécu quelque chose d’aussi difficile. « …Je fais mon travail poussé par la nécessité, au fond, rien n’a de valeur pour moi ». 

L’expérience de la mort de l’autre peut être considérée comme l’événement paradigmatique du réel. 

Cette disparition convoque en effet la radicalité d’une double altérité, c’est ce que nous propose M. Turnheim dans L’Autre est le même. 

L’inouï de notre propre absence au monde, dans l’irreprésentable de la mort, se redouble en effet de la radicale étrangeté du prochain, oubliée, qui nous le fait désirer, le réduisant au même, et dont la perte ranime l’irréductible altérité. 

Comment cet irréductible, cet irrécupérable, se noue-t-il avec la question du désir ?

Si l’on suit Lacan dans l’idée que le désir ne git que dans l’articulation signifiante et qu’il ne saurait se déchiffrer qu’à la lettre, nous sommes conduits à nous référer au point de nouage constitutif du sujet.

Cette perte de l’autre qui nous confronte à la double altérité dont nous avons déjà parlé, ne commémore-t-elle pas l’entame mortifère perpétrée par le signifiant ? Lacan finira par nommer ce point « Fiat Trou ! » qui vit surgir des abîmes le réel constitué du trou symbolique. 

Point auquel répondrait en correspondance inversée, la « Verwerfung » quand le réel fait retour du symbolique forclos. 

Cette parenté du deuil avec la « Verwerfung », Lacan la précise, toujours dans la séance du 22 avril 1959, : « Ce qui se produit alors est très précisément, ce quelque chose dont j’ai déjà indiqué la parenté avec un mécanisme psychotique pour autant que c’est avec sa texture imaginaire, et seulement, avec elle que le sujet peut y répondre ». 

C’est donc, dans un cas comme dans l’autre, l’imaginaire qui est appelé à répondre, avec la labilité et la fragilité que cela suppose. 

La mort de l’autre, en renouvelant l’affrontement au réel, ne conforte- t-il pas le sujet à ce point d’origine, où les trois registres ne se nouent que d’enserrer ce trou, de le border ? 

Le désir de l’analyste peut-il s’envisager sans cette rencontre avec ce point radical ? ce trou d’où le désir surgit comme seule réponse possible, point d’origine impossible à saisir, toujours déjà perdu, béance, ombilic qui rappelle que tout de la perte ne passe pas au manque. 

Présenté à la journée des Cartels. EPFCL. Ecole de Psychanalyse des Forums du Champ lacanien. Septembre 2003

Publié dans « La lettre mensuelle ».  EPFCL. Ecole de Psychanalyse des Forums du Champ lacanien. Octobre 2003

LA NEVROSE OBSESSIONNELLE

Dominique Locatelli

La complexité de la problématique obsessionnelle met à jour, en l’absence du refoulement paradigmatique des névroses, une conflictualité dont le moi est le théâtre. En effet, la lutte « instancielle » qui oppose la revendication pulsionnelle au refoulement est porté in vivo par la pensée d’un sujet, dans laquelle se distinguent annulation et isolation, afin de repousser les assauts des motions pulsionnelles tandis que la suspension de l’acte fait entrer en scène la férocité surmoïque de la troisième instance qui complète l’étrangeté du tableau clinique de cette névrose. 

Ce sont des enjeux attachés au terme de la pulsion scopique supportant l’adresse persistante d’un vœu de mort à l’encontre de l’A qui permettent, chez le névrosé obsessionnel, de rendre compte du moratoire sur son désir car : « …il est de la nature du désir comme tel de nécessiter le support de l’Autre. Le désir de l’Autre n’est pas une voie d’accès au désir du sujet, c’est la place tout court du désir… » (Les formations de l’inconscient ; p.402)   

Ici, le temps second du circuit de réversion, parcouru par la pulsion que génère « l’invidia », favorise une mise en scène où l’être vu prend place dans une rivalité avec le semblable, alibi d’une intercession privilégiée avec l’A. Mais c’est la saisie, au temps 1° du voir l’Autre primordial dévoilé dans la puissance de sa complétude avec l’objet auquel l’autre est appendu, qui en constitue la primauté. 

La jouissance pétrifiante, circonscrite dans un Autre imaginaire non barré, mobilise le « Wunch » mortifère à son encontre qui n’en est peut mais conduit alors à la propre mortification du sujet pour l’horreur du Réel entrevue de la propre jouissance du sujet. Au désir qui interroge la place prise pour tout sujet à l’égard de l’Autre, répond le fantasme de rétorsion par l’exigence de sa castration, qui affleure toujours chez le névrosé. Chez le sujet obsessionnel, elle constitue un des effets redoutables inhérent ai caractère archaïque de cet Autre surmoïque qui y conjoint le commandement de « j’ouie-sens ». 

C’est ainsi qu’avec la mise en exil désirante de cet Autre, et la forclusion du réel qu’elle suppose, le névrosé obsessionnel institue le signifiant en maître dans une articulation de la chaine qui ne peut souffrir aucun écart, et présente,  dans sa logique grammatico-narrative, la prépondérance du « ou ». S’incarnant dans la coordination imposée par cette conjonction, le « le vel obsessionnel » installe le sujet dans la certitude du doute désengagé de l’aliénation -la bourse ou la vie ; l’être (le sujet) ou l’Autre (le sens).

Par ailleurs, l’idéal de maîtrise accordée à la pensée par le névrosé obsessionnel, imprime au discours une mobilisation du S2 en place d’agent supporté par le signifiant phallique S1 en place de vérité qui dans son adresse privilégie un autre manquant. 

La causation du sujet, établie dans sa rencontre avec le champ de l’Autre, instruit le procès de la castration coexistant à la question du désir. L’insupportable vérité du sujet entrevue sur la jouissance surgit du manque, alimente un déni porté sur le désir de l’Autre dont le protège la quête d’une figure du Maître idéalisé qu’il conforte de son assujettissement : « l’obsessionnel est toujours en train de demander une permission. Demander une permission c’est dans la mesure même où la dialectique avec l’Autre – L’Autre en tant qu’il parle – est mise en cause, mise en question, voire mise en danger, s’employer en fin de compte à instituer cet Autre, se mettre dans la plus extrême dépendance par rapport à lui ( Les formations de l’inconscient ; p.412).

 Le frayage de l’angoisse qu’accompagne la courbe ascendante du désir est arrêté dans son déploiement par l’abaissement brutal de la tension libidinale. L’aphanisis compose une défense paradoxale qui paralyse l’émergence jouissante en gelant, malgré ses effets déflationnistes redoutés, la question du désir qui répondrait d’un renoncement à la position clivée d’être/avoir le phallus. 

Le renforcement de la prééminence de la première proposition du cogito « je pense » restaure l’entame du « je ne suis pas » en épargnant de son impossible évanouissement que commande la division, son rapport à l’objet a. 

Il y aurait donc un Réel de l’objet a présent d’emblée dans le discours de l’obsessionnel dont l’horreur menace sans cesse. Car l’issue que constitue , dans le cadre imaginaire, l’élaboration du fantasme schématisant a comme « métaphore du sujet de la jouissance » en y logeant l’insupportable de S(A) barré, est frappé de déni. 

 Le névrosé vise alors, par identification au phallus, la complétude de l’Autre que proscrit toute assomption de la castration, et auquel le fantasme du père jouisseur vient répondre de l’exception :

En se prémunissant du sacrifice de « la livre de chair » de la castration, le névrosé assure sa vie mais attente au désir dont il a obturé l’accès. L’expression du désir tant redouté chez l‘Autre se négocie stratégiquement par l’équation de son ravalement à la D, l’obsessionnel recourant ainsi à la multiplication d’objets cessibles selon le frayage du modèle anal. En effet, l’impossible de l’équation   désirante du névrosé repose sur l’emprunt par le désir, dont l’absolutisme comporte la destruction de l’Autre, du caractère inconditionné de l’amour à son adresse, conduisant ainsi à l’en doter par le registre du besoin. 

La relégation paternelle a éconduit le sujet dans son cheminement vers le devenir homme, le portant à la quête d’une exigence de reconnaissance d’une figure idéalisée, et inscrivant la forclusion portée sur la castration, dans l’exclusivité asséchante au désir de la mère. Par son indéfectible fidélité à l’Autre primordial, le névrosé nourri l’omnipotence d’un regard pétrifiant supporté par la dimension archaïque du Surmoi, affiliant sa culpabilité au renoncement de sa propre jouissance en répudiant la parole de l’altérité. 

Le renoncement impossible à la mère, préfigure la position asexuée adoptée par le sujet obsessionnel, dans son affrontement à l’autre sexe tandis que l’homosexualité latente, que soutient l’idéalisation féminine, participe d’une semblable esquive voulant ignorer le choix d’être un homme face à une femme. Délesté de la récurrence de la castration qu’introduit la question afférente à la différence des sexes, le névrosé obsessionnel porte au pinacle la mère pourvoyeuse de vie, accusant le poids de réel du signifiant phallique. 

L’aphanisis, pour répondre de l’angoisse exsudée par l’approche de l’énigme désirante présentée par l’Autre à l’endroit du sujet obsessionnel, constitue une stratégie déflationniste où la dégradation de son désir qui s’évanouit dans le retrait, fait évoquer une position mélancolique dont elle doit être distinguée.   

Présenté à la Présentation Clinique de Levallois. ECF. Ecole de la Cause Freudienne.   Juin 2003

DU REEL AU FEMININ

Dominique Locatelli *

La mélancolie commence quand les métamorphoses de la fuite sont achevées et qu’on en éprouve l’inutilité. Dans la mélancolie on est la proie rattrapée et déjà saisie. On ne peut plus s’échapper. On ne se transforme plus. Tout ce que l’on a essayé a été vain. On s’est résigné à son sort, on se voie proie. On suit une ligne descendante : proie, mangeaille, charogne, excrément. (Canetti) 

La clinique contemporaine de l’angoisse chez la femme, évoquant les formes actuelles qu’elle emprunte, indiquerait des avatars de manifestations préférentiellement retrouvées dans le champ masculin. 

Ces occurrences référeraient aux effets de la parité sexuelle croissante consécutives aux modifications culturelles emportées par les conquêtes politiques des femmes. 

En effet l’expression concurrentielle dans le champ social de l’avoir ressortissant davantage au registre phallique, modifierait en les amplifiant les modalités d’expression du symptôme, inclinant à un frayage par l’angoisse. 

S’il convient d’appréhender ces témoignages avec l’attention rigoureuse qui leur sont dus, c’est aussi pour signaler la richesse et relever la singularité de la clinique féminie de l’angoisse dont les rapports resteront en filigrane comme approche privilégiée du réel. 

Freud nous a légué dans l’élaboration conceptuelle de ses derniers travaux sur la féminité , conforté de sa conviction d’une libido unique, sa butée indépassable du refus de la position passive exprimé pour les femmes par l’envie du pénis. Il laissait pour la postérité analytique le nimbe opaque dont il avait initié la dissipation, recouvrer à nouveau le caractère énigmatique qui la désignait. Tout au long de la décennie ouverte par les questions soulevées dans « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine » (1958) et l’exposition de la différentiation des positions dans leur rapport à ce signifiant pour les hommes et les femmes dans la conférence « La signification du Phallus » (1958), Lacan s’attache avec une approche conceptuelle renouvelée à en réveiller l’abord en termes de division relative au signifiant phallique jusqu’à la formalisation des jouissances engagée dans la présentation de la communication «Subversion du sujet… » (1960) et aboutie dans l’élaboration en 1972 du Séminaire Encore. « L’angoisse », Séminaire présenté au cours de l’année 1962-1963 qui vient prendre place dans cette suite constructivisme de la position féminie, déploiera dans la formalisation du réel toute sa vigueur théorique rétrospectivement renforcée eu égard à une parenté conceptuelle annoncée entre angoisse et féminin. 

La phénoménologie actuelle de l’angoisse si elle apparait chez les femmes étouffée des formes rencontrées dans le registre de l’avoir (la puissance, la réussite, le pouvoir…), qu’elle se signale sur le registre de la plainte : « je ne parviens pas à consacrer assez de temps à ma famille, je suis trop accaparée par mes responsabilités professionnelles, ça m’angoisse ! » ou de la revendication : « je suis très heureuse d’organiser ces tournois…Je pars à chaque fois seule, je laisse mes enfants à mon mari, ça ne me pose aucun problème ! », complexifie son approche. En revanche, sa présentation hybride où se mêlent la contamination anxieuse de situations intéressées au mode d’expression phallique et des expériences où leur position est concernée quant à leur sexe, serre au plus près le point nodal qui commande à leur demande d’analyse : l’affectation par l’angoisse. 

L’assujettissement à la loi phallique que conditionne la prise de greffe de son signifiant pour la femme ne s’établirait que partiellement au regard de l’absence de signifiant sexué qui la fonde, hors le phallus : « Disons que ces rapports tourneront autour d’un être et d’un avoir qui, de se rapporter à un signifiant, le phallus, ont l’effet contrarié de donner d’une part réalité au sujet dans ce signifiant, d’autre part d’irréaliser les relations à signifier » . 2D’autre part la limitation de jouissance déduite de la prise de l’être dans le langage met à jour deux jouissances, la jouissance de l’être plus tard désignée par jouissance Autre voire jouissance du corps et la jouissance sexuelle site phallique. 

A cette perte inaugurale de l’avènement du « parlêtre » s’agrège le manque à être initié par la castration qui divise le sujet et l’inscrit au registre de la sexuation sous l’égide phallique. La femme confrontée à une ultime fission venant témoigner d’un défaut de représentant sexué dans l’inconscient qui à son tour ne peut la déterminer toute tels que mathématisés dans « les schémas de la sexuation » présentées dans le Séminaire XX (P. 73).  

A son tour l’énonciation inconsciente S(A) barré illustre sur le graphe le défaut de signifiant dans l’Autre lorsque empruntant aux pulsions le sujet, confronté à « l’escroquerie » du génital, s’y efface dans sa demande, resurgissant là à l’absence d’inscription d’un Autre sexué qui ruine toute attente d’une possible rencontre sexuelle. 

Plus tout à fait Un(e ) et pas tout à fait une Autre, la femme s’engage dans la croisade de l’amour, rébellion contre la violence du langage faite au sujet, qui convierait l’être et assignerait l’un et l’autre à la puissance mutuelle de la rencontre, «  … l’amour vise l’être, à savoir ce qui dans le langage se dérobe le plus… »  Ainsi les femmes, par leur fréquentation élective de l’amour, l’estompage dans des mises en scènes du jeu «mascarade»  précipitant quelques leurres où échoue leur narcissisme et son cortège de compromis symptomatiques, n’esquivent que provisoirement par la position subjective qu’ils dessinent, la familière question, lancinante, de son désir infiltré par l’angoisse qui les conduisent aux portes de l’analyse. 

Deux jeunes femmes à quelques mois d’intervalle entreprennent à la suite de diverses démarches thérapeutiques spécialisées dans des réponses localisées à la problématique qu’elles désignent, de s’adresser à un analyste, déterminées à délocaliser leur souffrance des sollicitations dont leurs corps est entouré. 

Chacune s’est établie dans un « devenir femme » actuel dans lequel ont pris place chronologiquement : travail, mari, enfants, se soutenant de l’adage contemporain dont la substitution et le déplacement de certains des termes n’est pas sans rappeler par leur appropriation quelques victoires historiques du siècle. 

La difficulté sexuelle exprimée de l’une sur le mode d’une impossible jouissance, confine à la phobie de rencontrer le désir de son partenaire face à l’insupportable qui la saisit d’en répondre. 

L’autre, plutôt amène dans le domaine sexuel, qu’elle a comme notre précédente patiente, découvert tardivement, répond d’une culpabilité très vite lestée de l’épuisement qu’occasionne son désir irrépressible de séduction l’amenant à des passages à l’acte adultères.

L’engagement progressif du travail de déchiffrage des formations de l’inconscient ponctué de souvenirs que réveille le travail associatif conduit chacune à l’interrogation instituante du « Ché vuoi ? », taraudé par l’angoisse dont elle se supporte. 

« Ce qui plait normalement aux autres femmes ne m’intéresse pas…ça m’ennuie », énonce celle-ci, « Je suis toujours ballotée entre paraitre et être », répond celle-là.

Il s’agira d’entendre leur formalisation singulière comme l’écho réfléchi d’un versant à l’autre d’un même gouffre que creuse la lacune fondamentale qui les affecte. 

La réticence sexuelle, expression policée du dégout et l’hyperphallicisation du corps sous le regard racontent assez l’allégeance à l’angoisse qui les chaperonne lors de la mobilisation du corps supportant la mise en lumière du défaut de la sexualisation. 

Rappelons le dégout surgissant dans les formations signifiantes déployées dans la cure des patientes de Freud, Anna O. et Emmy Von N. présentées dans les Etudes sur l’hystérie (1895), qui viendrait prendre place au lieu du corps sans vie et s’associer au « blanc » de la parole qui les saisit tour à tour. 

Par ailleurs, ces femmes tentent de réduire la préoccupation narcissique qu’elles manifestent dans la capture imaginaire de leur corps, afin de retenir cet adoubement en défaut d’identification symbolique et dont l’inconscient n’évoque que le manque : « Si paradoxale que puisse sembler cette formulation, nous disons que c’est pour être le phallus, c’est-à-dire le signifiant du désir de l’Autre, que la femme va rejeter une part essentielle de la féminité nommément tous ses attributs dans la mascarade »

Plus tard Lacan spécifiera son énoncé en l’articulant au rapport distinctif que la femme entretient avec la jouissance : « …C’est d’offrir au désir de l’homme objet dont il s’agit de la revendication phallique, l’objet non détumescent soutenir son désir, … C’est ce que j’ai cru devoir déjà valoriser en soulignant, après J. Riviere, la fonction propre de ce qu’elle appelle la « mascarade » féminine. Simplement, elle doit y faire bon marché de sa jouissance ». « Féminité-mascarade », titre attribué par M.C. Hamon pour son recueil de textes, revisite l’intitulé de J. Riviere et révèle par ce vocable l’incomplétude insignifiable qui ne s’incarne que de s’adjoindre un substantif, renvoyant métonymiquement au voile qui revêt l’ombilic. 

Héraults d’une prophétie annoncée, les femmes s’élancent dans la tentative inouïe de rejoindre un Autre qui les appelle de son manque partagé d’avec elles, vigies surveillant le barrage dressé contre un ressac qui répète inlassablement le ratage de la rencontre d’un sujet d’avec un autre sujet, l’éternelle disjonction où elles voudraient conjoindre désir et jouissance : « L’amour est impuissant, quoiqu’il soit réciproque, parce qu’il ignore qu’il n’est que le désir d’être Un, ce qui nous conduit à l’impossible d’établir la relation à deux. La relation d’eux qui ? – deux sexes. » 

En effet, l’angoisse consubstantielle à cet échappement d’elle-même que constitue la part ineffable de sa jouissance, appendue qu’elle est de manière flottante au nœud de la castration, fait poser pour une femme l’amour comme exigible dans sa capacité à la doter en signifiants. Car jouir sexuellement pourrait la ramener de son extradition dans la jouissance Autre. Et cependant « …elle n’y tient pas aussi essentiellement que l’homme pour ce qui est de la jouissance, de sa nature. » , mais elle se porte en avant toujours davantage vers le désir de l’Autre car elle y est concernée au plus profond d’elle-même. 

Si l’amour est la sublimation du désir », la femme y caracole sans mettre pieds à terre jusqu’à ce que l’attention portée au désir de l’Autre favorise à son terme la présentation d’un objet convenu, « nor-mâle » souriait S. Aparicio, pour sa jouissance. Et puisque par l’intransigeance de son amour sa jouissance s’autorise au désir, l’interrogation insatiable de l’Autre qu’elle convie à son assise narcissique toujours béante, l’expose en retour à la jouissance d’être désirée. 

Elle renoue ainsi avec le procès de la subjectivation réalisée dans ses fondements sous les auspices de l’Autre, « …de la division signifiante où l’x d’un sujet primitif va vers son avènement » ,   resurgissant aux effets de la division fondatrice. Cette opération originaire repère dans son instauration où le sujet va initier la question de son désir, la négociation d’objets cessibles empruntant la voie pulsionnelle, qui trouvera son terme dans la division l’instituant comme désirant sous l’égide du signifiant fédérant ses pertes : –phi  

Mise en demeure d’en répondre à son tour, l’interrogation du désir de l’Autre qu’elle voudrait ériger dans sa plénitude lui conférant en retour l’insigne qui la reconnaitrait, la femme répugne cependant à s’y laisser épingler comme objet offert à l’Autre : « L’angoisse gît dans ce rapport fondamental où le sujet est dans ce qu’appelé jusqu’à ici désir de l’A. » 

Elle s’affronte alors au manque de l’objet, cause du désir de l’Autre qui assoit la position subjective indexée sur la position phallique la faisant s’incliner vers l’incarnation du défaut de cet objet, soutenu par l’élaboration de son fantasme : « …me proposer comme désirant, êpov, c’est me proposer comme manque de a et ce qu’il s’agit de soutenir, dans notre propos est ceci, c’est que par cette voie que j’ouvre la porte à la jouissance de mon être. »  C’est là que dans cette mise à nue de ses oripeaux narcissiques, dénudée d’être objectivée en a elle atteindrait à l’acmé de l’angoisse, la précipitant dans la destitution subjective : « Toute exigence de a sur la voie de cette entreprise, disons, puisque j’ai pris la perspective androcentrique de rencontrer la femme, ne peut que déclencher l’angoisse de l’autre, justement en ceci que je ne le fais plus que a, que mon désir le « a-aise », si je puis dire. » Mais la présentification de l’objet a comme représentation du sujet cause du désir de l’Autre épuise-t-elle le registre de l’angoisse, là où « le sujet est intéressé au plus intime de lui-même ?»

La double valence que l’arrimage pour la femme à l’objet a établi dans son rapport à l’autre, souligne S. André, c’est l’insupportable réduction à l’objet d’usage de sa jouissance mais aussi l’assurance d’une polarité de jouissance articulée au fantasme qui la ferre. Elle autorise le déploiement des symptômes, barrière isolante de sa vacuité comme solde de l’in-subjectivable : « Car cette découverte de a , du réel désexualisé du corps, tout en s’accompagnant de violentes manifestations d’affect, comporte une certitude, une solidarité, une fixité qui constitue une véritable consolation pour le sujet. »  La tentation apparait séduisante de proposer un parallèle d’avec la constitution de la phobie qui, l’évoquait C. Soler, traite l’incomplétude de l’Autre, hors l’imaginaire par l’interprétation, en promouvant un nouveau signifiant en réponse à l’angoissante question du manque dans l’Autre auquel le sujet est affronté. Car « Le phénomène phobique, le plus paradigmatique du rapport au désir de l’Autre » ( C. Soler, Séminaire, 06.05.01, CCP)  est requis dès lors que le sujet s’affronte à une jouissance occulte déduite du manque phallique ; il recourt alors à la demande de cet Autre qu’il élabore sur le registre pulsionnelle en fantasme comme désir de cet Autre : « Le névrosé en effet, hystérique, obsessionnel, plus radicalement phobique, est celui qui identifie le manque de l’Autre à sa demande , O à D. »      

La localisation de l’angoisse procède de la métaphore phobique et c’est à sa suite dans les effets de la série symptomatique que nous pouvons lire la dimension d’ancrage que constitue la formation du fantasme comme circonscription de la jouissance pour une femme. 

La double inscription de la femme au registre de la castration et sa désertion partielle à l’enrôlement sous la bannière phallique va encourager Lacan, tandis qu’il instruit l’élaboration théorique des jouissances, jouissance phallique et jouissance de l’Autre, voire du corps, à incliner cette dernière du côté féminin, instituant la position subjective féminine comme paradigmatique de la dialectisation de ces deux jouissances. Elle vient rappeler à cette place l’opération d’abrasion de la jouissance du corps par le langage que décline les disjonctions du sujet d’avec l’Autre et de l’homme d’avec la femme et la déporte du côté de l’altérité radicale : « La position féminine vaut comme métaphore de l’Autre en tant que celui-ci est impossible à rejoindre entant qu’il reste toujours Autre. » 

La représentation topologique de l’angoisse comme morsure du réel sur l’imaginaire que Lacan a proposé, rend compte d’une de ses figurations possibles où l’assigne son intransigeance, ressortant au reste innommable de l’opération de découpage auquel le langage procède : « Seule la notion de réel, dans sa fonction opaque, s’oppose à celle du signifiant devant quoi l’organe opère comme signal de l’ordre de l’irréductible de ce réel. »   

A son tour la jouissance du corps viendrait témoigner du registre de l’être que l’évidement de jouissance rendrait foncièrement hétérogène à son recouvrement par le signifiant. 

Kierkegaard témoigne dans son ouvrage Le concept de l’angoisse (1884) d’une ouverture plus importante de la femme à l’affect de l’angoisse ; sans doute, et nous avons tenté précédemment de l’éclairer, cela relève-t-il comme pour tout sujet de sa constitution dans la relation qu’il entretient au désir de l’Autre. Mais par ailleurs l’assignation de sa division au registre de l’insubjectivable de sa position l’y prédisposerait davantage par la fréquentation familière du réel qu’elle implique. La fréquence de son expression et sa plasticité attesterait alors, par l’habillage polymorphe qu’elle revêt, du virage à « l’inquiétante étrangeté qu’emprunte le familier », thème développé par Freud dans son article en 1919, traduisant sa propension à s’y loger.

L’équivoque du féminin vient alors s’articuler à la question par laquelle Lacan interpelait son public lors de ses interventions en 1977 (Ornicar ? 17/18 ; 1979). La poésie peut-elle remédier à la mise en question de la psychanalyse pour « escroquerie » et l’impétrant s’en soutenir dans un travail d’interprétation ? 

La duplicité poétique qui opère entre sens et signification témoigne cependant du lien de parenté qui l’unirait dans ses effets avec le « sens-double » du signifiant en usage dans la psychanalyse. Mais quid du réel qui homologiquement au rapport sexuel se conjugue à l’impossible et « ne cesse pas de ne pas s’écrire » mais se dessine en s’absentant du sens ?

En réponse à l’achoppement de l’abord de son impossible auquel nous convoquent l’angoisse « symboliquement réel » et le symptôme, le psychanalyste est mis en demeure et Lacan en position avancée, de s’astreindre à la quête innovante d’un signifiant. Or, et Lacan le rappelle, la torpeur infiltre tout discours, assujettit à son intention de « commandement » dont seul le réel parvient à l’éveiller. 

L’invention d’un signifiant nouveau ne ressortirait-il pas au paradoxe d’une production d’un « effet de sens » de l’indicible, là où l’effet de trou se manifeste ?

Si la poésie parvient à se prévaloir de cette portée n’est-ce pas à la condition qu’au-delà de l’ambiguïté du signifiant dont elle joue, elle puisse résonner de ce trou ineffable qu’elle habille ? la poésie fait usage de la torsion de la langue pour indiquer la perte d’être innommable de la causalité du sujet par le langage. Celle-ci constituant une violence radicale dont l’autiste vient à son tour attester par ses productions et la disjonction entre l’écriture ici première sur le langage, refusant ainsi de consentir à son oubli (M. Turnheim, Les ateliers du samedi, 02.12.00). « Cette coupure de la chaine signifiante est seule à vérifier la structure du sujet comme discontinuité dans le réel. » 

La proximité du réel pour les femmes que leur autorise singulièrement ce « supplément de jouissance » les portent à convier au plus près la dimension de l’être tant elles frayent avec ses rejetons les plus intimes, le sexe et la mort : « Ainsi quand nous voulons atteindre dans le sujet ce qui était avant les jeux sériels de la parole, et ce qui est primordiale à la naissance des symboles, nous le trouvons dans la mort, d’où son existence prend tout ce qu’elle a de sens. »  Qu’elles promeuvent leur manque à être dans les rets de la création  et que les y rejoignent alors ceux qui en manifestent à leur tour l’irréductible arrachement,  les femmes en allégorie équivoquante, ressurgissent à la vérité d’une fréquentation privilégiée du réel dont elles témoignent. 

L’accueil d’une position féminine symbolique réceptivité essentielle, énonçait M. Turnheim (Séminaire, 09.11.98, ECF), comme expression de la pulsion pacifiante qui l’accompagne, requière d’avoir été traversée dans la névrose infantile et prévaut comme condition pour le sujet à l’émergence de l’altérité le rempardant contre une déflagration d’« un pousse à la femme » imaginaire. 

A l’instar de ce dire nous pourrions avancer que l’accostage aux rivages de l’angoisse comme expérience de vérité approchée intimement par les femmes, constitue un temps inéluctable de la position instituante de tout sujet.   

Publié dans Cahiers du Collège Clinique de Paris. L’angoisse dans les structures cliniques. Année 2000 – 2001

1/ Freud S., « Sur la sexualité féminine » (1931), « La féminité » (1932), « Analyse finie et analyse infinie » (1937)

2/ Lacan J., « La signification du phallus », Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p.694.

3/ Lacan J., Le Séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p.40

4/ Lacan J., « La signification du phallus », Ecrits, loc. cité.

5/ Lacan J., Le Séminaire, Livre X, « L’angoisse », inédit, séance du 29.05.63

6/ Lacan J., Le Séminaire, Livre XX, Encore p.12

7/ Lacan J., Le Séminaire, Livre X, « L’angoisse », inédit, séance du 20.03.63

 8/ Lacan J., Ibid., séance du 06.03.63

9/  Lacan J., Ibid., séance du 13.03.63

10/11/  Lacan J., Ibid.

12/  André S., Que veut une femme ? p.122

13/ Lacan J., « Subversion du sujet … », Ecrits, op.cit., p.823

14/ André S., Que veut une femme ? p.279

15/  Lacan J., Le Séminaire, Livre X, « L’angoisse », inédit, séance du 06.03.36

16/  Lacan J., « Subversion du sujet … », Ecrits, op.cit., p.801

17/ Lacan J., « Fonction et champ de la parole », Ecrits, op.cit., p ;320

18/  « Je suis dans un amour entre vivre et mourir. C’est à travers ce défaut de votre sentiment que je retrouve votre qualité, celle justement de me plaire. Je crois être seulement attachée à ce que la vie nous vous quitte pas, pas autrement, le déroulement de celle-ci me laisse indifférente, elle ne peut rien m’apprendre sur vous, elle ne peut que me rendre la mort plus proche, plus admissible, oui, souhaitable. C’est ainsi que vous vous tenez face à moi, dans la douceur, dans la provocation constante, innocente, impénétrable. Vous l’ignorez » (M. Duras, l’homme atlantique, 1982) 

19/ « L’être aimé pour l’amant est la transparence du monde…C’est l’être plein, illimité, que ne limite plus la discontinuité personnelle. C’est, en un mot, la continuité de l’être aperçue comme une délivrance à partir de l’être de l’amant…Il y a une absurdité, un horrible mélange, dans cette apparence, mais à travers l’absurdité, le mélange la souffrance, une vérité de miracle…L’être aimé équivaut pour l’amant, pour l’amant seul sans doute, mais, n’importe, à la vérité de l’être. » (G. Bataille. L’érotisme, 1957)   

INCLASSABLE OU SINGULARITE

Dominique Locatelli *

La rencontre avec la position subjective du sujet qu’il nous est proposé d’entendre lors des présentations cliniques, ouvre à un décentrement quant à l’organisation structurale, telle que le symptôme produit le repère. Les variations structurales enregistrées constituent la matière même de ces entretiens, où l’émergence de la singularité des sujets qui s’y affrontent insiste sur le questionnement clinique et le principe éthique du diagnostic, dont le moindre des paradoxes serait alors qu’ils génèrent une catégorie d’« inclassable »

Nous proposons une histoire de clinique constituée par l’entretien avec M. « Padchance », dont le déroulement se situe sous les auspices de l’angoisse. 

Dès le discours initié, l’angoisse condense le symptôme central, constitutif de l’unité nosographique qui le représente, et le concept à interroger : « On va déjà parler de l’angoisse, c’est le fond du problème. Pendant cinq ans d’affilée, j’ai eu une hospitalisation à Saint-Anne pour névrose d’angoisse. »

A partir de cet instant inaugural de l’entretien se constitue, par développements concentriques successifs, un discours dominé par le signifiant « l’angoisse », clef de voute de sa charpente identitaire, où s’articule chaque expérience et à la lumière de laquelle se forge et s’inventorie chaque champ de sa biographie. Avec un ton monocorde il égrène : 

  • L’hospitalisation : « Quand on a une crise d’angoisse, il faut la soulager, mais surtout il faut parler du problème, ce qui n’a pas été fait depuis cinq ans. » ;
  • La réponse thérapeutique : « Il faut entamer une analyse, on peut prendre des anxiolytiques mais le but final c’est d’arrêter les médicaments. » ; 
  • Les causes : « C’est souvent les problèmes qui viennent de l’enfance- peur, abandon, trahison, mensonge de la part des parents, mensonge de la part de la mère. » ;
  • L’enfance : « L’enfant peut montrer, par des signes, ses angoisses. C’est l’image d’un enfant qui subit quelque chose sans pouvoir répondre ».  

Lorsqu’au cours de l’entretien la nécessité de préciser les figures parentales est abordée, M. G. insiste sur l’aspect persécuteur de l’objet premier maternel, rapporté au « tranchant mortel » de l’Autre, toujours menaçant, lors de fondement identificatoire, où le subir de la trahison et du mensonge l’emporte sur le devenir concrètement articulé à propos du père déclaré mort par son absence.  Il évoque alors « une personne très douce », rencontrée à 19 ans lors de sa première hospitalisation à Sainte-Anne, qui conduisait les séances de relaxation. 

Cette figure antagoniste de la mère réelle favorise « l’apparition d’images », qui initie la construction d’un roman familial, dans lequel prennent place aujourd’hui le gynécée de son enfance et le traumatisme lié aux attouchements sexuels perpétrés par une tante. Le sens de ce qu’il nomme le noyau dur de son angoisse s’édifie dans l’évocation de son enfance et « le réveil de son inconscient » : « Il nous fait voir les chemins inverses », dit-il.   

En effet, M.G. revisite pour nous les événements de sa biographie, où campent les personnages composites qui constituent ses rencontres avec l’autre. Menaçant objet maternel, archaïque et clivé, quête alors d’un Autre, rencontré à 16 ans « sous les traits d’un père-frère nourricier » et qui l’institue comme semblable dans la partage de la sexualité.  Enfin, répétition symptomatique d’une procréation dont la paternité lui échappe volontairement : « Je suis sorti avec une hollandaise, elle voulait un enfant sans père » – énoncée dans le paradoxe des souffrances générées par l’inconscience des parents et la dénégation de l’abandon. Des ponctuations par l’angoisse apparaissent, soulignant de manière intermittente, par les définitions objectives qu’il en offre, les remémorations d’une biographie « idéologiquement » corrigée. 

L’évocation concluante de l’entretien, d’une analogie possible entre les entretiens actuels du patient avec le docteur V. et son expérience du travail entrepris avec la jeune femme de Sainte-Anne, s’établit sur la différence péjorante à l’encontre de cette thérapie de soutien – « travail d’appui » dont la conduite par le psychiatre est assujettie à son bon vouloir et à l’aide qu’il lui apporte, la psychanalyse demeure la voie royale, idéalisée. M.G. offre alors cette définition : « L’entrée dans l’angoisse, c’est l’oubli de la mémoire ».   

La discussion du groupe clinique qui s’ensuivit laissa entrevoir deux questionnements diagnostiques où s’opposait un infléchissement de structure sur un versant psychotique à une confirmation de la dimension névrotique de l’angoisse. 

Les inclinaisons constitutives d’une orientation diagnostique vers la psychose s’étayent sur le discours qui fait apparaître le signifiant angoisse, amputé de toute implication subjective, prenant place dans un discours essentiellement descriptif. 

Le recours massif aux pronoms personnels indéfinis – il, on… – et aux pronoms démonstratifs – ce, cela… -, renforce la distanciation du discours, générée par l’abord de ses expériences et de leur représentation, qui tend vers une formalisation abstraite et une tentative d’objectivation de sa souffrance. 

Les définitions qui émaillent son discours concourent à la constitution d’aphorismes, et le vécu de l’angoisse se métamorphose en discours savant où les positions respectives de l’entretien vacillent, celle du consultant progressivement destitué de sa position du sujet supposé savoir s’inverse au profit du patient qui s’expose dans un discours didactique. 

La question, alors ouverte, oppose une autonomisation du moi du patient par clivage où le discours sur soi devient le discours sur un autre – tentative de suppléance restituée par la névrotisation de ce discours, le savoir sur l’angoisse tenant lieu d’identité à la tentative de maîtrise par contention de cette angoisse à l’aide du discours, comme processus symbolique d’élaboration de représentation attestant de l’expérience un réel insupportable. 

Cependant l’impossibilité de s’adosser à une situation œdipienne où le réel se constitue pour lui par la privation d’un objet tiers assujetti au jeu de la présence-absence instauré par le discours maternel, prolongation de son propre mouvement qui instrumentalise l’autre, perfore ce réel. La tentative imaginaire de s’édifier dans l’altérité s’affrontera sans cesse à l’impossible de sa rencontre avec un Autre condensé ou clivé, qui, installé ainsi sous les traits bienveillants de son protecteur, l’assigne à une féminisation de sa position, retrouvée plus tard dans l’idéalisation d’un lieutenant à l’armé – éléments du dossier-, décédé brutalement et dont la disparition laissera place à l’élection d’une figure négative sous les traits d’un adjudant dont les persécutions, relayant la douleur morale, le conduiront à une première hospitalisation en psychiatrie. 

Un imaginaire s’édifie autour d’un corps souffrant menacé de déliquescence et remis aux bons soins de l’institution qui ne lui ménagera pas sa présence. 

L’élaboration symbolique développée autour de la création artistique, la peinture, achoppera sur la première crise psychotique – éléments du dossier-, inaugurée par la reconnaissance officielle de son talent, assortie d’une proposition d’accrochage public. Elle sera marquée par des idées mégalomaniaques dominées par un mécanisme d’interprétation où « Dieu lui a donné un don », et une attitude mystique tendant à faire disparaitre les plaintes hypochondriaques. Depuis, l’orientation créatrice se cherche du côté de la musique. 

Enfin, les éléments symptomatologiques, s’intégrant à ‘histoire des troubles de M.G. repérés depuis sa première hospitalisation, font apparaitre un basculement constant entre des manifestations appartenant à la sérié névrotique -phobie, décompensation anxieuse, immaturité caractérielle-, constituées en syndrome, et des signes – dépersonnalisation, éléments dissociatifs, plaintes hypochondriaques -, relatifs à une organisation structurale psychotique, toujours  dominée par l’angoisse, s’ils alimentent la question contemporaine de son organisation structurale, ne peuvent occulter une donnée mise à jour par la perspective psychiatrique, l’invalidation effective du sujet.          

Son ampleur s’est d’emblée signalée par une activité professionnelle ne dépassant pas quelques mois et la très rapide attribution, mais aussi acception, d’une rétribution pour invalidité- cf. L’Homme aux loups – contrastant avec la définition « psychologique » de sa souffrance et son insertion marginale. Par ailleurs, sa très longue histoire avec les institutions psychiatriques inaugurée par une hospitalisation étendue à trois ans, et la contention actuelle réclamée et offerte par l’organisation multistructurelle du secteur, n’ont pas vu émerger le désir d’un espace décentré de la folie pour l’accueillir et y déposer sa parole contrastant avec une recherche de la vérité idéalement située du côté de la psychanalyse. 

Le polymorphisme oscillatoire de la symptomatologie, corrélé à une constitution clivée de l’autre du fait des aléas de l’inscription symbolique, et contrôlé par l’angoisse, en l’absence de toute construction subjective de la réalité, ferait incliner le diagnostic vers une personnalité borderline ou « as-if » – cf. D.S.M IV, en l’absence de personnalité « as-if » dans le CIM 10- ; avec traits schizoïdes telles que l’a décrite Mauritz Katan lors de la phase prépsychotique, dans son article «Les aspects structuraux d’un cas de schizophrénie ». 

Cependant, l’identification massive à des objets clivés et indifférenciées semble masquer une dilution de l’altérité et une préoccupation persécutive de féminisation, repérée par les manifestations d’angoisse paroxystiques faisant suite, pendant l’hospitalisation, aux rencontres prolongées avec son « tuteur », tandis que s’élaborait une rencontre renouvelée avec un Autre féminin sous les traits de la jeune psychomotricienne. 

La description savante de ses symptômes, rarement observée chez des névrosés hors processus analytique, les inscrirait davantage comme une infiltration du réel par un imaginaire du corps attaqué, que la contrainte institutionnelle atténuerait par contention, offrant le cadre où viendrait s’appréhender son image unifiée contre les coups de boutoir d’un morcellement toujours comminatoire et auquel le patient s’aliène. 

Cela indiquerait la pérennisation de l’angoisse comme tenant lieu identitaire dans un choix de « l’oubli de la mémoire » que la psychanalyse, par les remémorations qu’elle invoque dans la quête de la vérité du sujet, viendrait menacer. 

Présenté lors de La conversation d’Arcachon. ECF. Ecole de la Cause Freudienne. 1997.

Publié dans La conversation d’Arcachon. Cas rares : les inclassables de la clinique. Paris. Agalma Editeur Diffusion.  Le Seuil. 2005

Psychanalyste, psychologue clinicienne hospitalière, EPS de Ville Evrard, 93330 Neuilly sur Marne et Paris.